jeudi 10 mai 2007

Mercredi 28 mars Mon Saint-Jacques de Compostelle




Palm Springs, Californie

« Le lundi, vous verrez des filles en pleurs devant la porte de leur chambre. C’est pareil chaque année. Les filles viennent ici pour s’amuser… Et en couple, on ne s’amuse pas ». Bienvenue au Dinah Shore week-end de Palm Springs. Le Spring Break des lesbiennes, un pélérinage annuel qui n’a pas grand-chose avec Lourdes. Mon Saint-Jacques de Compostelle.

Un tournoi de golf féminin qui a mal tourné diraient certains. Un tournoi de golf qui a bien tourné pour celles qui viennent chaque année dans cette oasis californien créé grâce au détournement des eaux du Colorado, à deux heures de Los Angeles. Palm Springs, 45.000 habitants. Le plus grand rassemblement de lesbiennes au monde, dit le journal local, le Desert Sun.

Elles étaient beaucoup moins au lancement du Dinah Shore Winner’s Circle Golf Championship, tournoi du Ladies Professional Golf Association dans les années 70. Dinah Shore, actrice et chanteuse américaine, fondatrice d’un des tournois de golf féminin les plus prestigieux des Etats-Unis, a dû se retourner plus d’une fois dans sa tombe en voyant à quoi son nom est associé aujourd’hui. Parce que Dinah Shore était hétéro et pas vraiment gay-friendly. C’est d’ailleurs assez marrant de voir que le tournoi a changé de nom, devenant le Kraft Nabisco Championship. Comme s’il fallait prendre ses distances avec un événement plus très catholique.

Terrie la guerrière


J’arrive de La Nouvelle-Orléans, un autre monde. Je n’aurais jamais atterri là sans ma copine Terrie. Et Terrie m’a prévenu : « Tu verras, c’est pas du tout ton genre, mais il faut que tu voies ça au moins une fois. Ce sera l’occasion de pratiquer ton gaydar » Comme je ne suis pas contrariante, j’ai fini par dire oui.


J’ai rencontré Terrie en 1997 à San Francisco. Elle a le double de mon âge et on s’entend comme deux larrones en foire. C’est une lesbienne païenne anarchiste, c’est mon coach de 64 ans qui était déjà à Palm Springs en 1981, à la fois en tant que golfeuse et lesbienne. « Au début, il y avait des joueuses lesbiennes, puis des lesbiennes tout court sont arrivées. On était quelques milliers seulement à l’époque. »

Elles sont combien aujourd’hui à investir la ville ? 15.000 ? 30.0000 ? Quelque part entre les deux. L’événement n’a fait que croître et se décline aujourd’hui en concerts, spectacles, et pool-parties, parties autour de la piscine. Et des stars forcément. Renee O’Connor, la copine blonde de Xena la guerrière dans la série télé, est là ce week-end. Le code Hays, qui gourvernait les gestes considérés comme moralement acceptables sur le grand écran américain, n'est plus en vigueur depuis la fin des années 60. Mais pour le salut des bonnes âmes, Xena continue de draguer Hercule plutôt que Renee. Hercule est à Xena ce que le golf est aujourd’hui au Dinah Shore : un cache-sexe.


Les deux grandes organisatrices, Club Skirts et Girl Bar, squattent le Doral Resort et l’hôtel Wyndham. Des palaces qui abritent les activités de la semaine. Elles peuvent se frotter les mains : l’impact économique de leur manifestation est aujourd’hui évalué à 5,5 millions de $. C’est le journal local qui le dit.


Le pass VIP que me file Terrie, lui, a coûté quelque 1.000$. A ce prix là, on a vue sur la piscine et des entrées dans toutes les fêtes de ce long week-end… Je m’apprête à passer cinq jours dans un camp de concentration lesbien où ne pénètrent que les volontaires. « C’est là où ils ont tourné un épisode de L Word, vous vous souvenez avec Dana, dans la première saison », nous dit notre chauffeuse du Doral Resort Hotel. C’est grand, luxueux, attaché à un terrain de golf… « Combien de clés ? », demande la réceptionniste. « Quinze », rigole Terrie.

Jeudi 29 mars Le calme avant la tempête


L’aube se lève. Depuis le balcon de la chambre 362, je vois un tapis de verdure où poussent des palmiers remonter sur des montagnes rosées. Un paradis silencieux à 6h du matin. Je suis à Palm Springs, mais j’ai encore la tête à La Nouvelle-Orléans. Je ne croise plus des musiciens mais des sisters, dans les couloirs, dans l’ascenseur, dans la piscine.

Quelques hétéros sont tout de même passés au travers des mailles du filet. Je ne suis pas sûre que les quelques familles de l’hôtel sachent que ce week-end est placé sous le signe de l’invasion de gouines.

Jennifer, ou l'amour du risque


Elles sont déjà assises par centaines dans une des salles du Doral, attendant le show d’ouverture : le spectacle de Suzanne Westenhoefer, humoriste lesbienne dont je n’ai jamais entendu parler. Mais c’est vrai que l’humour fait partie des choses difficiles à transposer dans une autre langue.

Jennifer est super canon. Elle est jamaïcaine et vit à LA. Et elle est assise à côté de moi. C’est la troisième fois qu’elle vient au Dinah Shore. Elle est venue avec deux amies qui sont en couple. Jennifer aime être en bikini sur le bord de la piscine, danser et être entourée de lesbiennes comme elles pour faire la fête. « Même quand j’étais en couple, je venais ici seule », me dit-elle.



Terrie me rejoint. Je présente Jennifer à Terrie, Terrie à Jennifer. Terrie lui dit que je suis une « baby-dyke » (bébé-gouine), qu’elle savait que j’étais lesbienne avant même que je le sache. Je me sens comme un têtard qu’on jette à l’eau. « J’ai invité Céline pour qu’elle se fasse sauter (désolée, j’ai pas trouvé plus élégant comme traduction). » Jennifer répond : « C’est marrant, mes amies m’ont invitée pour la même raison. » C’est quoi ce piège ? Jennifer était à La Nouvelle-Orléans en février dernier, elle va en France cet été. Je reviens de La Nouvelle-Orléans, je retourne en France cet été. Elle a aussi une chambre au troisième étage du Doral. On s’échange nos emails.

« 9 trous, ça prend 17 heures »



Suzanne Westenhoefer a mis les pieds sur un green hier pour la première fois. « Dans les années 80, on pouvait pas le dire à nos parents. On disait : j’aime le golf quand j’en fais avec ma meilleure copine. » Une interprète du langage des signes traduit. Parce qu’il n’y a pas de raison de ne pas avoir aussi des lesbiennes dans la catégorie sourdes. « Le golf à la télé ?, dit Suzanne. Il faut avoir été opéré deux fois de suite pour faire ça. »

Je me marre. Je suis contente de comprendre les blagues. Le tournoi de golf est un prétexte pour dissimuler un truc qui m’apparaît assez évident : tirer un coup, ou plusieurs. Une autre façon de faire un dix-huit trous. Mais Suzanne a testé : « 9 trous, ça prend 17 heures ».

Oasis, Oasis, c'est bon, c'est bon...


Je suis entourée de nanas. Parmi elles, Terrie me présente Roberta et Galina. Roberta, d’origine mexicaine, était sa colocataire à San Francisco. Galina est la girl friend de Roberta. Elles s’y sont prises trop tard… Il n’y avait plus de chambres disponibles. Du coup, elles crèchent dans le lit d’à côté. Galina est russe. Elle me dit que sa fille va être trop jalouse. Elle veut ma photo pour lui montrer. « Ma fille est à l’université et cherche encore sa sexualité. Je suis sûre que ça peut l’aider », m’explique Galina. Je suis morte de rire.








Le party a lieu ce soir à l’Oasis, une discothèque dans le centre ville. Je prends un gin tonic. Mais je crois que le barman a oublié la deuxième partie du cocktail. Je tiens moyennement l’alcool. Je tiens moyennement debout. Jennifer vient se coller à moi. Terrie récupère mon sac. J’ai l’impression d’être sur un terrain de foot un jour de match. J’ai un public et je dois rentrer des buts. Jennifer est vraiment une belle gardienne de but. Mais je ne suis pas sûre d’aimer le jeu.

On se quitte dans le couloir de l’hôtel en se disant qu’on se retrouvera demain à la piscine. Le barman m’offre une bière, refuse mes dollars et mon pourboire. « It’s free for you », me dit-il. Dans un rassemblement de 15.000 lesbiennes, j’ai un ticket avec le serveur.

Vendredi 30 mars Sea, sex, sun et chlamydia









Je me réveille avec la gueule de bois. Je lève une paupière. Dans le lit à côté, je vois Roberta. On dirait un tableau de Botero. Mes trois camarades de chambre parlent de chlamydia et autres maladies sympathiques. Roberta apprend étonnée qu’il existe des préservatifs pour les femmes qui aiment les femmes. Galina a rêvé qu’elle massait Shane, une des stars de la série L Word. Il faut dire que Galina est masso-thérapeute. Dans son rêve, Shane avait un drapeau américain sur la fesse droite. Terrie est morte de rire. Moi aussi.


Sea, sex and sun. C’est ça Palm Springs. On est au bord de la piscine. Galina et Roberta ont confectionné des Rainbow Ties, des cravates aux couleurs arc-en-ciel qu’il faut tremper dans l’eau pour se rafraîchir la nuque. Elles en donnent à des filles pour obtenir les transats à l’ombre. Je baigne dans un monde où tout le monde mate tout le monde et se prend en photo. Il y a même une gang de mecs qui a réussi à pénétrer le cercle très fermé du rassemblement. Ils ont trouvé la parade: devenir photographes ou cameramen.





Roberta sort son rouge à lèvres. C’est une lipstick, une lesbienne « rouge à lèvre », par opposition à la butch camionneuse. Galina me dit : « Avant de rencontrer Roberta, je pensais être une lipstick. J’ai changé d’avis depuis. » Galina est hilarante. Je ne sais pas si c’est son accent russe ou le truc qui pétille dans ses yeux. Les deux sans doute. Je demande à Terrie si elle a un nom pour désigner la plèbe flottante entre les cases butch et lipsticks. Elle me dit: « Ben oui, il y a toi. »

Je n’ai jamais réussi à rester longtemps sur un transat. Très vite, ça me fait chier. Je propose à Galina une partie de ballon dans la piscine. Galina est arrivée aux Etats-Unis en 1991, juste avant la chute de l’URSS. « En Russie, j’étais hétéro, mais quand je suis arrivée aux Etats-Unis, hop je suis devenue lesbienne », me balance-telle en même temps que le ballon. Je ne vois pas Jennifer, mais j’ai trouvé une autre gamine pour jouer.